Les avantages recherchés à travers les interconnexions internationales
Il n'est pas si facile de dessiner un paysage incontestable des avantages et des inconvénients de l'interconnexion synchrone, dans une Europe de l'Ouest où ceci constitue un cadre naturel depuis si longtemps. On conçoit mieux la difficulté d'un tel questionnement si l'on essaie de se mettre à la place de pays confrontés aujourd'hui à l'examen de l'opportunité d'un raccordement à d'autres réseaux, ou bien de vastes pays comme la Chine qui doivent déterminer le mode optimal de
développement de leur réseau. Il est encore plus difficile d'estimer, après coup, de façon quantitative les avantages liés à l'interconnexion. L'UCTE (Union pour la coordination du transport de l'électricité), qui a mené des travaux sur ce sujet de 1995 à 1997, en a bien saisi la mesure. En effet, une telle évaluation suppose
que l'on puisse procéder à une comparaison de la situation réelle existante avec une situation de référence sans interconnexion. Mais comment raisonner ? Ouvrir de façon fictive les lignes d'interconnexion internationales existantes, pour en déduire comment se modifieraient les avantages quantitatifs ? Ou bien se tourner vers le passé et essayer d'imaginer ce qu'aurait été le développement de systèmes électriques nationaux sans aucune interconnexion ?
Sur le plan historique, il est fort probable que le développement d'un réseau à très haute tension synchrone ne s'est pas fait en se posant immédiatement la question de connexions entre pays. Ce qui comptait, c'était de pouvoir raccorder des groupes de production construits en fonction de ressources énergétiques (essentiellement, des centrales hydroélectriques) à des zones de consommation.
Pour franchir les distances, le transport à courant alternatif s'est vite imposé en Europe. Ensuite, les effets de rendement ayant conduit à l'augmentation de la taille unitaire des groupes de production, tandis que la consommation restait relativement diffuse, le réseau de transport s'est progressivement développé. Le maillage du réseau a ainsi permis de répondre à l'un des problèmes posés par l'électricité, à savoir que celle-ci se stocke peu (du moins, vis-à-vis des niveaux de production et de consommation qui sont en jeu)
En suivant cette logique, on a pu voir se développer progressivement en Europe des réseaux de transport isolés, où le maillage interne s'accroissait progressivement ainsi que le niveau de tension. Petit à petit sont apparues également quelques lignes d'interconnexion traversant les frontières, mais il s'agissait de pouvoir relier des régions transfrontalières afin de favoriser des échanges production-consommation entre régions locales proches, suivant un fonctionnement dit « en poche». Cette technique, initialement commode, a posé par la suite de plus en plus de problèmes du fait de son manque de souplesse, et a alors été considérée comme un obstacle à la fluidité d'échanges entre partenaires intéressés.
Le couplage en synchrone des différents réseaux préexistants, rendu possible par les progrès en matière de réglage des réseaux qui permettaient de lever les problèmes techniques inhérents au fonctionnement en synchrone d'un grand réseau, s'est alors progressivement réalisé à partir de 1958.
En s'appuyant sur cette esquisse rapide, on peut énumérer les avantages de l'interconnexion, et plus spécialement de l'interconnexion synchrone :
Le développement des échanges transfrontaliers ; cet aspect est un moteur principal de l'expansion
de la zone géographique d'interconnexion.
Les bienfaits de la mutualisation ; ils incluent plusieurs facettes ; l'interconnexion permet tout d'abord de produire ailleurs que là où on consomme, en bénéficiant de la souplesse d'ensemble de tous les groupes de production ; par ailleurs, l'interconnexion des consommations se traduit par un effet de foisonnement qui joue à différentes échelles de temps : il autorise à bénéficier d'une part de la compensation statistique des variations élémentaires des consommations, d'autre part des décalages horaires et des différentes habitudes de consommation des pays interconnectés ;l'interconnexion atténue aussi l'effet sur la fréquence d'un déclenchement de groupe, et conduit à un dimensionnement plus faible des réserves de puissance nécessaires pour être en mesure de faireface aux aléas affectant l'équilibre production/consommation.
La réduction des coûts d'investissement de réseau et de production ; sur le plan des ouvrages de transport, l'interconnexion a permis de faire des économies d'investissements dans les réseaux internes des pays interconnectés, et de profiter des effets d'investissements différés ; côté production, l'interconnexion a permis l'obtention des gains, grâce aux rendements d'échelle (il est ainsi aisé de voir que bien des pays européens auraient du mal à supporter l'aléa constitué par le déclenchement fortuit de leur plus gros groupe de production, s'ils fonctionnaient en réseau isolé) ;l'interconnexion a permis aussi la construction de centrales à participation entre bénéficiaires de pays multiples.
Une meilleure qualité de la desserte des utilisateurs du réseau ; cette amélioration se traduit entre autres par une fréquence plus stable, des pertes de transport globalement plus faibles, une puissance de court-circuit plus élevée, un meilleur acheminement de la réserve ; par ailleurs, comme divers
exemples en ont témoigné, l'interconnexion se prête à une reconstitution de réseau plus rapide suite à un incident de grande ampleur, du fait de la possibilité de s'appuyer sur les réseaux adjacents restés saufs.
Cependant, l'interconnexion synchrone est susceptible d'apporter un certain nombre d'inconvénients, qui peuvent constituer, si l'on n'y prend pas garde, le revers des avantages énoncés plus haut :
L'augmentation de la puissance de court-circuit peut conduire à devoir recourir à du matériel de dimensionnement plus élevé et donc plus coûteux.
Si globalement le niveau des pertes est plus réduit, il peut au contraire s'accroître dans certaines parties du réseau interconnecté à certains moments.
Un réseau peut subir différentes répercussions de ce qui survient sur les réseaux voisins (manœuvres, défauts, fonctionnements d'automatismes, etc.).
On ne peut pas exclure complètement la probabilité qu'un mécanisme d'effondrement survienne dans une partie du réseau et s'étende à l'ensemble du réseau.
Le bon fonctionnement de l'ensemble repose sur le bon comportement de chacun des partenaires interconnectés ; a contrario, le comportement inadéquat d'un des partenaires peut induire des problèmes très gênants pour les autres et dont l'origine est parfois difficile à déterminer, surtout sur
des réseaux très étendus. C'est pourquoi il est indispensable que chacun des partenaires interconnectés respecte des exigences techniques minimales. Ainsi, l'UCTE a défini d'une part une procédure s'appliquant à tout nouveau partenaire candidat à l'interconnexion, d'autre part un recueil de recommandations et de règles s'appliquant à tout membre interconnecté