EXTRAITS DE TEXTES A DISCUTER
Activité
Les textes1 et 2 ont pour sujet la justification de la conquête et de la colonisation françaises
-Relevez les indices textuels qui le montrent
-Que constatez-vous ?
TEXTE 1
En serait-il ce que vous dites, je crois que notre nouvelle conquête est chose utile et grande. C’est la civilisation qui marche sur la barbarie. C’est un peuple éclairé qui va retrouver un peuple dans la nuit. Nous les Grecs du monde, c’est à nous d’illuminer le monde. Notre mission s’accomplit, je ne chante qu’hosanna. Vous pensez autrement que moi, c’est tout simple. Vous parlez en soldat, en homme d’action. Moi je parle en philosophe et en penseur.
Supposez que les peuples d’Europe au lieu de se défier les uns les autres, de se jalouser, de se haïr se fussent aimer ; supposez qu’ils se fussent dit qu’avant même d’être Français, ou Anglais, ou Allemand on est homme, et que si les nations sont des patries, l’humanité est une famille ; et maintenant, cette somme de cent vingt-huit milliards, si follement et si vainement dépensés par la défiance, faites-la dépenser par la confiance ! ces cent vingt-huit milliards donnés à la haine, donnez-les à l’harmonie ! (…) Donnez-les au travail, à l’intelligence, à l’industrie, au commerce, à la navigation, à l’agriculture, aux sciences, aux arts, et représentez-vous le résultat. La face du monde serait changée ! Les isthmes seraient coupés ; les fleuves creusés, les montagnes percées (…) On bâtirait des villes là où il n’y a encore que des solitudes ; on creuserait des ports là où il n’y a encore que des écueils ; l’Asie serait rendue à la civilisation, l’Afrique serait rendue à l’homme ; la richesse jaillirait de toutes parts de toutes veines du globe sous le travail de tous les hommes, et la misère s’évanouirait ! Et savez-vous ce qui s’évanouirait avec la misère ? Les révolutions. Oui la face du monde serait changée ! Au lieu de se déchirer entre soi, on se répandrait pacifiquement dans l’univers ! Au lieu de faire des révolutions, on ferait des colonies ! Au lieu d’apporter la barbarie à la civilisation, on apporterait la civilisation à la barbarie.
La Méditerranée est un lac de civilisation ; ce n’est, certes, pas pour rien que la Méditerranée a sur l’un de ses bords le vieil univers et sur l’autre l’univers ignoré, c’est-à-dire d’un côté toute la civilisation et de l’autre côté toute la barbarie. Le moment est venu de dire au groupe illustre des nations : Unissez-vous ! Allez au Sud. Est-ce que vous ne voyez pas ce barrage ? Il est là, devant vous, ce bloc de sable et de cendre, ce monceau inerte et passif qui depuis six mille ans fait obstacle à la marche universelle. Ce monstrueux Cham qui arrête Sem par son énormité, l’Afrique. Quelle terre que cette Afrique ! L’Asie a son histoire, l’Amérique a son histoire, l’Australie même a son histoire, qui date de son commencement dans la mémoire humaine ; l’Afrique n’a pas d’histoire ; une sorte de légende vaste et obscure l’enveloppe. Rome l’a touché pour la supprimer ; et quand elle s’est crue délivrée de l’Afrique, Rome a jeté sur cette morte immense une de ces épithètes qui ne se traduisent pas : Africa portentosa. C’est plus et moins que le prodige. C’est ce qui est absolu dans l’horreur. Le flamboiement tropical en effet, c’est l’Afrique. Il semble que voir l’Afrique, ce soit être aveuglé. Un excès de soleil et un excès de nuit. Eh bien cet effroi va disparaître.
Déjà les deux peuples colonisateurs, qui sont deux peuples libres, la France et l’Angleterre, ont saisi l’Afrique : la France la tient par l’Ouest et par le Nord, l’Angleterre la tient par l’est et par le midi. Voici que l’Italie accepte sa part de ce travail colossal (…) Cette Afrique farouche n’a que deux aspects : peuplée, c’est la barbarie, déserte, c’est la sauvagerie, mais elle ne se dérobe plus. (…) Au dix-neuvième siècle, le blanc a fait du noir un homme ; au vingtième siècle, l’Europe fera de l’Afrique un monde. Refaire une Afrique nouvelles, rendre la vieille Afrique maniable à la civilisation, tel est le problème. L’Europe le résoudra.
Allez, Peuples, emparez-vous de cette terre. Prenez-la. A qui ? à personne. Prenez cette terre à Dieu. Dieu donne la terre aux hommes, Dieu offre l’Afrique à l’Europe. Prenez-la. Où les rois apporteraient la guerre, apporter la concorde. Prenez-la non pour le canon, mais pour la charrue ; non pour le sabre, mais pour le commerce ; non pour la bataille, mais pour l’industrie ; non pour la conquête mais pour la fraternité. Versez votre trop plein dans cette Afrique, et du même coup résolvez vos questions sociales, changez vos prolétaires en propriétaires ; allez, faites ! faites des routes, faites des ports, faites des villes, croissez, cultivez, multipliez ; et que sur cette terre, de plus en plus dégagée des prêtres et des princes, l’Esprit divin s’affirme par la paix et l’Esprit humain par la liberté.
: Premiers textes maghrébins
Victor Hugo Victor Hugo, Discours du Congrès de la paix, 21 août 1849
TEXTE 2
Je dis que la politique coloniale de la France, que la politique d’expansion coloniale, celle qui nous a fait aller sous l’Empire à Saïgon, en Cochinchine, celle qui nous a conduits en Tunisie, celle qui nous a amenés à Madagascar, je dis que cette politique d’expansion coloniale s’est inspirée d’une vérité sur laquelle il faut pourtant appeler un instant votre attention : à savoir qu’une marine comme la nôtre ne peut pas se passer, sur la surface des mers, d’abris solides, de défenses, de centres de ravitaillement. […]
Messieurs, il y a là des considérations qui méritent toute l’attention des patriotes. Les conditions de la guerre maritime sont profondément modifiées.
À l’heure qu’il est, vous savez qu’un navire de guerre ne peut pas porter, si parfaite que soit son organisation, plus de quatorze jours de charbon, et qu’un navire qui n’a plus de charbon est une épave sur la surface des mers, abandonnée au premier occupant. D’où la nécessité d’avoir sur les mers des rades d’approvisionnement, des abris, des ports de défense et de ravitaillement. Et c’est pour cela qu’il nous fallait la Tunisie ; c’est pour cela qu’il nous fallait Saïgon et la Cochinchine ; c’est pour cela qu’il nous faut Madagascar, et que nous sommes à Diégo-Suarez et à Vohémar, et que nous ne les quitterons jamais !… Messieurs, dans l’Europe telle qu’elle est faite, dans cette concurrence de tant de rivaux que nous voyons grandir autour de nous, les uns par les perfectionnements militaires ou maritimes ; les autres par le développement prodigieux d’une population incessamment croissante ; dans une Europe, ou plutôt dans un univers ainsi fait, la politique de recueillement ou l’abstention, c’est tout simplement le grand chemin de la décadence ! Les nations, au temps où nous sommes, ne sont grandes que par l’activité qu’elles développent.
Rayonner sans agir, sans se mêler aux affaires du monde, en se tenant à l’écart de toutes les combinaisons européennes, en regardant comme un piège, comme une aventure toute expansion vers l’Afrique ou vers l’Orient, vivre de cette sorte, pour une grande nation, croyez-le bien, c’est abdiquer, et dans un temps plus court que vous ne pouvez le croire, c’est descendre du premier rang au troisième et au quatrième.
Le parti républicain a montré qu’il comprenait bien qu’on ne pouvait pas proposer à la France un idéal politique conforme à celui de nations comme la libre Belgique et comme la Suisse républicaine ; qu’il faut autre chose à la France : qu’elle ne peut pas être seulement un pays libre ; qu’elle doit aussi être un grand pays, exerçant sur les destinées de l’Europe toute l’influence qui lui appartient, qu’elle doit répandre cette influence sur le monde, et porter partout où elle le peut sa langue, ses mœurs, son drapeau, ses armes, son génie.
Source : Journal Officiel, Débats parlementaires, discours de Jules Ferry, 28 juillet 1885