A-    La période 1830-1900 : la fascination par un nouvel Orient

L’Algérie a fasciné de nombreux écrivains touristes et elle a été vue comme une terre  de conquête et de sensations nouvelles, on y venait pour chercher des plaisirs. Les premiers écrits furent ceux des militaires, mémoires des généraux, les récits des correspondants de guerre.

*Les écrits de missionnaires : il s’agit de documents authentiques  de correspondants de guerre, des militaires  ayant participé aux campagnes d’expédition, qui se sont mis à l’écriture  de récits mémoratifs ou des correspondances entretenues avec leurs familles ou amis, relatant les affrontements et rendant compte de leurs batailles victorieuses et de la puissance de l’armée française face à la population indigène.

(A titre d’exemple, nous retrouvons les traces de ce type de  littérature chez Assia Djebar : L’Amour, la fantasia (1985)  et chez Nassira Belloula : Terre des femmes (2014) )

De célèbres auteurs ont visité l’Algérie. Ces écrivains touristes venaient découvrir l’Algérie et chercher de nouvelles sensations.

*Littérature exotique ou orientalistes : le courant exotique est représentatif de « la littérature des voyageurs » qui succède à « la littérature de campagne ». Les colonies nouvellement acquises reçoivent la visite d’écrivains souvent prestigieux venus de la métropole pour la découvrir et noter leurs impressions et leurs émois au moment où s’épanouit le romantisme en Occident. Certains étaient de passage pour des séjours plus ou moins long, d’autres se sont même installés dans certaines villes de la côte, du Sud et de l’intérieur du pays. Ils sont fascinés par le soleil et les vastes territoires du désert.

1-      Les Goncourt : ce sont deux frères écrivains de l’école Naturaliste : Edmond et Jules. Le passage des Goncourt en Algérie a permis de donner au lecteur un plus de dépaysement. Ils ont été frappés par  une densité de vie et aussi par une volupté d’être.

2- Théophile Gautier : a été sensible à un pays superbe où chacun vient «  « pour voir l’Orient, un pays superbe où il n’y avait que les français de trop »[1]

3- Eugène Fromentin : un grand écrivain qui va donner un sens à une certaine Algérie dans sa littérature. Ses romans sont des grands classiques. Un été dans le Sahara, 1857, Une année dans le Sahel, 1859. . Le regard de Fromentin : il a été frappé au pays du soleil par le pittoresque des choses, des hommes et des lieux.

4- Gustave  Flaubert : Prosateur soucieux de la perfection du style, il veut donner dans ses œuvres une image objective de la réalité. Pour des raisons de création artistiques, un roman en jachère ayant pour titre Salammbô, Flaubert décide pour se rendre à Carthage, « Tunisie ». Il s’attarde à Constantine, la ville l’a ensorcelée, il a écrit de belles pages sur la ville des ponts, la ville des pierres, accrochée aux rochers.

Il a écrit également quelques récits. Nous en citons à titre d’exemple Notes (Avril 1868)

5- Alphonse Daudet : il ramène de France son Tartarin de Tarascon[2], Daudet va dénoncer le grand rêve des écrivains touristes : les plaisirs personnels, l’exotisme de «  bazar » (exotisme hypocrite).

6- Guy de Maupassant : Il vient en Algérie en tant que journaliste et aussi pour se reposer. La publication de Boule de Suif en 1880 a été un succès, fulgurant. Il se rend en Algérie dans le but de fuir la pression de la célébrité. - Il a laissé un recueil très important : Au Soleil ( des récits 1884) Il voulait voir cette terre du soleil et du sable en plein été. Faisant part de son propre  projet à ce propos, il écrit dans ce recueil : « On rêve toujours d’un pays préféré, l’un de la Suède, l’autre des Indes, celui-ci de la Grèce et celui-là du Japon. Moi, je me sentais attiré vers l’Afrique par un impérieux besoin, par la nostalgie du désert ignoré comme par le pressentiment d’une passion qui va naître»[3]. Maupassant était curieux de voir l’Arabe et de comprendre son âme. En tant que journaliste il a enquêté sur la révolte de Bouamama et il a dénoncé la colonisation, allant jusqu’à qualifier les colons par des brutaux, maladroits. Il a dénoncé aussi la misère lépreuse des commis agricoles.

7- André Gide : La vision de Gide : c’est une vision mythique de l’Algérie, dans la plupart de ses écrits, Gide milite pour la libération des sens, l’évasion, la vie en joie. « L’excés de celui qui embrasse la vie comme quelque chose qu’il a failli perdre. »[4]

 

            A propos de cette littérature dite exotique, on y reproche le fait que l’écrivain touriste n’ait vu et aimé   

         qu’un décor. L’homme qui occupait ce décor fut ignoré. Ils ont fait aussi abstraction de la réalité  

         profonde du pays. Concernant leur écriture, elle est imbibée du romantisme facile avec un abus       

         d’images et trop de   Stéréotypes tel que  l’image de l’indigène cadré dans « le mythe du bon    

         Sauvage ». un mythe lié au mythe des origines, celui de l’homme resté dans sa pureté naturelle car non  

         Corrompu par  la socialisation, l’extension de l’urbanité et les conforts offerts par les progrés  

         scientifiques et techniques de la révolution industrielle.

 

D’autres auteurs connus sur la scène littéraire française, mais versant dans la glorification de la colonisation ont également illustré leurs passages en Tunisie. Citons à ce propos George Duhamel qui dresse dans Le Prince Jaffar (1924) un tableau sombre de la vie tunisienne, avec un esprit de dénigrement notoire, portant atteinte aux croyances et aux mœurs de ce pays. Son but était en effet de vouloir approuver et démontrer les bienfaits du colonialisme sur les indigènes.

9-François Bonjean est parmi les célèbres auteurs français qui s’imposent au Maroc. Ses écrits sont caractérisés par la mise en œuvre de l’âme marocaine. En 1939, dans Confidence d’une fille de la nuit (1939), il permet pour la première fois à une musulmane de prendre la parole et fait découvrir aux lecteurs une marocaine vue de l’intérieur et qui s’exprime à la 1ère personne.

Ses déclarations interpelaient fermement  la reconnaissance du maghrébin à part entière : « Tant qu’on ne voit pas le meilleur d’une âme, on ne voit rien »

 

En se référant aux quelques exemples cités, il est à signaler que Malgré quelques dénonciations, les lecteurs des premiers textes écrits par des français ayant résidé ou étant de passage dans les pays du Maghreb, n’ont pas pu découvrir le Maghreb profond avec toutes ses réalités. La plupart d’entre eux ont été sensibles à un décor, c’est-à-dire à un paysage mais ils n’ont pas vu l’homme dans sa détresse. Les grands écrivains connus ont eu l’audace de dénoncer un exotisme de mauvais aloi, et dans cette production, l’Algérie est une source de plaisir et de jouissance.

La production des écrivains touristes se fait remarquer par une écriture impressionnante, un réalisme de grande qualité. Les plaisirs égoïstes avec ce mariage de soleil, de la mer, les éteintes  de sable, constituent la croûte exotique.

                        Le courant exotique est par la suite dépassé pour céder la place à un courant d’une littérature 

            versant dans la  légitimation d’un  nouveau peuple de race européenne (les pieds-noirs) suite au  

            contexte historique qui a fait de l’Algérie une colonie de peuplement.

 

B- La période : 1900-1935 : l’esthétique libérée

*Le courant Algérianiste

C’est un courant dont fait partie des écrivains ayant mis délibérément leurs imaginations et leurs plumes au service de l’idéologie coloniale. Leurs pensées et leurs œuvres sont chargées de mépris et d’irrespects.

L’Algérie a été sentie comme une terre puis par extension comme une mère. Mère fraternelle, généreuse, source de plaisir. Ce courant a manifesté sa démarcation en adoptant un discours de légitimation de la colonisation et de la reconnaissance d’une entité française sur le sol nord africain.

Des écrivains appartenant à ce courant construisent un champ métaphorique dont le roman reflète la défense de leur thèse, c’est-à-dire de leurs intérêts en tant que minorité dominante recherchant une plus grande autonomie par rapport à la France dans la gestion de la colonie sur tous les plans.

Ce courant s’insurge contre la vision des orientalistes et se manifeste dans un élan d’affranchissement et d’autonomie, portant son propre discours et ses postions idéologiques qu’approuve ardemment dans son œuvre l’écrivain promoteur du roman colonial Louis Bertrand : « Des français nés au Maghreb […] refusant le faux orientalisme, l’exotisme qui avait fleurit auparavant. On voulait une littérature qui ne demande à la Métropole que la langue française pour exprimer l’Afrique du Nord ».[5]

 

Louis Bertrand est l’un des auteurs qui a dominé cette période littéraire. Son œuvre étant très conséquente Cet écrivain a été obsédé par sa latinité, il est venu en Algérie pour rechercher ses ancêtres latins. La philosophie est fantaisiste, car retrouver ses ancêtres latins montre la méconnaissance de l’histoire et de la civilisation arabo-berbère. Etant arrivé en Algérie en 1891, il déclarait en 1935, à propos des écrits qu’il avait consacrés au Maghreb : « j’ai fini mon cycle d’études nord-africaines. Du Jardin de la mort à Cyrène, en passant par ville d’Or, je n’ai voulu faire qu’un pieux pèlerinage aux pays des ancêtres »[6].

Louis Bertrand ira jusqu’à considérer l’Afrique du Nord comme la nouvelle race latine qui allait perpétuer ses ancêtres, «La véritable Afrique, c’est nous, nous les latins, nous les civilisés »[7].

Dans Le sang des Races (1899), il relate avec enthousiasme la vie des milliers de migrants qui ont choisi l’Algérie comme destination après 1830. Il évoque dans sa trilogie[8] la puissance des colons bâtisseurs de l’Algérie (face au cliché de l’Arabe paresseux et inefficace bien répandu)

Dans ses œuvres, Bertrand est à la recherche d’un pays nouveau, un pays neuf « mêlé des races ». Dans ses œuvres les idées sont fournies avec des observations minutieuses, il a décrit La vie heureuse des pieds noirs de Bab El Oued. Il a exalté aussi la vérité et le courage des pieds noirs, par contre les réflexions concernant « l’indigène » on constate l’usage de : il est sal, il est paresseux, il est menteur, hypocrite, description féline. (Registre animalier).

 

Louis Bertrand a influencé le mouvement algérianiste. L’œuvre littéraire qui émerge de ce courant est celle de Robert Arnaud pseudonyme R Randau, cet écrivain  nous a laissé des œuvres riches en renseignements : Colons, Le Professeur Martin, Petit Bourgeois d’Alger. Cette œuvre a eu l’audace de parler de la patrie algérienne.

 

-Quelques auteurs connus de ce mouvement Algérianiste :

-Auguste Robinet : qui signe Musette, connu pour ses histoires de Cagayous, un feuilleton qui dura plus de 20 ans

           -John Pommier : fervent défenseur de l’élaboration d’une doctrine de rassemblement politique à partir   

           de l’idée latine en créant une intellectualité, en propageant une culture et en élaborant une unité  

           d’âme.

-Louis Lecoq : était le premier président de l’association des écrivains algériens.

 

*Caractéristiques du mouvement Algérianiste : - ce mouvement dénonce la littérature d’escale.

-Il milite pour l’Algérianisme qui dans l’esprit de ce mouvement, est un mariage, une union des deux communautés ( Algérie, La France) dans un esprit de fraternité. -la plupart des œuvres ont un style jovial et cependant par un penchant pour l’outrance, exemple : couleur violente, image forte, le son, et aussi des descriptions abordant abondamment les thèmes de la sexualité.

Ce courant voulait réaliser en Algérie une intellectualité commune aux races qui y vivent ainsi qu’une union fraternelle des deux communautés.

En 1920, Randau publie le Manifeste des Algérianistes.

Cette époque a également connu une importante fermentation littéraire : les conférences sont données, des cercles culturels se créent. Le réveil littéraire renait et s’amplifie.

En 1920, création de la Société des Ecrivains de l’Afrique du Nord, fondé à Tunis.

En 1924, création de l’Association des Ecrivains Algériens.

Arthur Pellegrin a élaboré entre 1919-1920 en Tunisie, un ouvrage et une enquête sur la littérature africaine.

 

Signalant enfin, que l’apport positivement littéraire des Algérianistes est d’avoir permis en Algérie et au Maghreb même, l’émergence d’une littérature proprement africaine en langue française ; l’autonomie de pouvoir se dire est acquis de taille certain. Un autre avantage des textes algérianistes est celui de permettre l’introduction du roman et du théâtre comme de nouvelles formes d’esthétiques inconnues au Maghreb dont la tradition littéraire puise son essence dans l’espace culturel arabo-musulman.

 

 

 



[1] Cité par Jean Déjeux dans : La littérature algérienne contemporaine, Paris, PUF, coll, Que sais-je ? 1979, p.3

[2] Il s’agit du personnage principal d’une série de romans d’Alphonse Daudet dont le premier fut publié en 1872. L’œuvre entière fut publié dans le Figaro en France et en Algérie. Le premier tome décrit les aventures burlesques de Tartarin, chef des chasseurs de Tarascon, allant chasser le lion en Algérie.

[3] Au soleil, Paris, Société d’éditions littéraires et artistiques, 1902, pp.5-6

[4] Cité par Jean Déjeux dans : La littérature algérienne contemporaine, Paris, PUF, coll, Que sais-je ? 1979, p.16

[5] Arthur Pellegrin, La littérature Nord-Africaine, Etude critique, Tunis, Bibliothèque Nord-Africaine, 1920

[6] Cité par Maurice Ricord, « Louis Bertrand et l’Algérie», dans Informations algériennes, n°1, janvier 1942

[7] Cité par Jean Déjeux, Littérature Maghrébine de langue française, Ed Naaman, Sherbrooke, Québec, 1980, p.15

[8] Louis Bertrand a consacré une trilogie romanesque à l’action colonisatrice du peuple neuf : Le sang des Races (1899)  montre l’extension de la colonisation symbolisé par le roulage qui fut facteur déterminant de la pénétration saharienne – La Cina (1901) décrit une campagne électorale dans la petite ville côtière de Tipaza – La concession de madame Petitgrand (1912) aborde l’exploitation problématique d’un domaine agricole.


Modifié le: jeudi 23 mars 2023, 22:45