A-    1920 -1950 : une littérature aux formes mimétiques

 

La littérature authentiquement maghrébine est à voir  au sein d’un axe chronologique de  quatre étapes : avant 1945, autour des années 50, à partir de 1956, après 1962.

La période d’avant 1945 fut marquée par des écrits, par des essais politiques, sociaux,  algériens qui relaient l’évènement politique ( la guerre 1914-1918), la seconde guerre mondiale (1939-1942) ; la naissance et la structuration des partis politiques algériens et l’émancipation du mouvement nationaliste.

 

A partir des années 1880, l’œuvre coloniale va finir de démanteler les institutions locales (Madrasa, Zaouïa,…), chose qui va bouleverser la structure des sociétés maghrébines et surtout algériennes. Le français s’imposera donc très vite comme la langue de l’administration, de la justice et enfin celle de l’enseignement. Le colonisateur va, au moyen de l’école, assujettir linguistiquement, idéologiquement les populations colonisées. Cet assujettissement est d’autant plus efficace que l’apprentissage d’une langue conduit, inévitablement, à l’initiation à une culture.

 

De son côté, l’enseignement de la langue arabe se maintient péniblement dans certaines parties du pays au prix d’un isolement presque absolu et d’un archaïsme presque total. Seule la culture populaire orale (beaucoup plus subversive et difficile à contrôler) va subsister comme garant d’une culture première oubliée, niée,…

 

 C’est dans ce contexte que la première génération des écrivains maghrébins de langue française commence à émerger en  composant surtout des essais ou des romans à thèse, d’un style presque précieux, pour y revendiquer une place dans l’espace colonial tout en tenant un discours d’adhésion à la mission civilisatrice de la France.

 

B-    Les Précurseurs de la littérature algérienne de langue française (avant 1945)

 

Les écrits du colonisateur, qu’il soit métropolitain ou français d’Algérie ont été à l’origine d’une grande répercussion sur l’éclosion de l’esprit littéraire autochtone qui va connaître par la suite une considérable extension et un essor progressif et une succession de générations d’écrivains maghrébins de 1920 à nos jours.

Les premiers écrits qui donnent lieu à la littérature algérienne de langue française émanent d’une intelligentsia formée dans les écoles françaises. C’est dans l’entre-deux guerres que les algériens parviennent à se manifester dans la sphère littéraire. Les premiers romanciers se font publier difficilement et font appel à la tutelle des écrivains coloniaux. Ils s’inscrivent dans le sillage des écrivains algérianistes[1] dont ils subissent les influences au plan esthétique.

Il s’agit d’

«  un petit noyau d’écrivains algériens qui arrive sur la scène littéraire (qui) se constituent en une sorte de sous-ensemble à l’intérieur du genre dominant de la littérature coloniale. En effet, comme le roman colonial de l’époque, le roman algérien souscrit aux conventions  réalistes et les exploite pour exposer de façon didactique, une thèse à caractère social. D’où  les traits formels tels que la linéarité de l’intrigue, la typologie des personnages exemplaires et symboliques, construits à partir d’une psychologie sommaire. »[2]

 

*Culture de l’assimilation

L’usage de  la langue française dans la  littérature algérienne est lié à la politique coloniale qui a programmé l’apprentissage du français et d’une manière sélective exposant ainsi le colonisé au phénomène de l’assimilation. L’assimilation étant précédée par le phénomène de la déculturation systématique de la population ; cette dernière est privée de l’apprentissage de la langue arabe ajoutant à cela un contrôle très sévère sur les écoles coraniques. Autrement dit,

 

« Outre l’accaparement des terres et la désagrégation de la société traditionnelle, la colonisation eut pour effet le tarissement des sources culturelles du pays conquis […]

La répression se manifeste par la confiscation des biens habous qui servaient aux besoins de la charité ou de l’instruction publique, et par la destruction ou la fermeture des mosquées et des zaouïas … face à ces contraintes, la littérature se replie dans l’espace culturel de l’oralité et se manifeste dans la langue de tous les jours : l’arabe dialectale ou le berbère, pour atteindre l’auditoire populaire. »[3]

 

De plus, le système colonial table davantage sur la généralisation de l’ignorance qui reste un facteur déterminant de domination des masses, d’acculturation et de refoulement de la prise de conscience nationale. Ainsi pour atteindre son objectif, la politique d’assimilation vise une formation rudimentaire, c’est-à-dire une alphabétisation élémentaire. De ce  fait, 

« A partir de 1881, la politique scolaire coloniale, à laquelle le nom de Jules Ferry reste attaché, va être le cheval de bataille dans le processus colonialistes. Jonnart le gouverneur d’Algérie déclarait le 17 juin 1910 au conseil supérieur : ″ école primaire qui est en France la pierre angulaire de la  République, et en Algérie le fondement de la République, le fondement de notre domination″ . »[4]

 

*Contexte politique : Algérie occupé depuis 1830, le Maroc et la Tunisie étaient sous le régime de protectorat respectivement,  depuis 1881 et 1912.

Durant cette période, l’Algérie était en effervescence d’une prise de conscience nationaliste qui se précisait à partir de l’année 1920 suivie d’une montée du mouvement national organisé par le P.P.A en 1937 à travers une prise de position sous forme d’une revendication explicite de l’indépendance.

 

*Contexte littéraire : selon les statistiques citées par Jean Déjeux

De 1919 à 1944 : parution de 11 romans : 8 en Algérie  et 3 en Tunisie. 28 recueils de nouvelles : 2 en Algérie – 14 en Tunisie – 1 au Maroc

De 1945 à 1950 : parution de 6 roman en Algérie et un recueil de 13 contes au Maroc.

La majorité des auteurs algériens  de cette période faisaient partie du mouvement algérianiste fondé par Robert Randeau,  Jean Pommier et Louis Lecoq, qui ont rejeté le faux orientalisme et l’exotisme qui avaient fleuri auparavant.

Les auteurs algériens dits évolués issues de l’école française étaient partisans de l’intégration ou même de l’assimilation  à la France. Ils étaient instituteurs, de profession libérale ou de fonction notable.

A cette époque, des revues apparaissent dont la plus importante est la Voix des Humbles ou la Voix indigène. Revues animées par des instituteurs algériens.

On note le rôle de ces derniers dans le déclenchement des prises des consciences politiques.

Divers journaux, diverses brochures militent pour des revendications nationalistes ou alors pour l’intégration de l’œuvre civilisatrice de la France.

Notons à ce propos qu’on ne trouve pas l’équivalent de cette génération en Tunisie et au Maroc, tardivement mis sous  le régime de protectorat et moins touché par le système colonial  en termes de présence et de domination culturelle.

 

           A titre indicatif et loin d’être exhaustif, nous citerons quelques titres considérés comme  Les premiers écrits en langue française ayant émergé en Algérie.

- 1891 : parution dans une revue algéro-tunisienne littéraire et artistique de la 1ère nouvelle de M’Hamed Ben Rahal intitulée : La vengeance du Cheikh.

- 1917 : parution du 1er recueil de poèmes de Salem Elkobi : Contes et Poèmes de l’Islam et du même auteur en 1920, parution de Rosées d’Orient. Les thèmes de ces deux œuvres sont destinés à la gloire de l’Orient, de l’Islam et de la France.

- 1920 : parution du 1er roman publié en Algérie : Ahmed Ben Mostapha Goumier par le Caid Ben Cherif.

- 1925 : parution du roman de Abd El Kader Hadj Hamou, Zohra la femme du mineur.

-1929 : parution du roman de Chukri Khoudja, El Euldj, captif des barbaresques[5].

- 1936 : parution du roman de Mohamed Ould Cheikh, Myriam dans les palmes.

- 1938 : parution du roman de Rabeh Zenati, Le problème algérien vu par un indigène.

 

        Il est à signaler dans les écrits de ces précurseurs du roman algérien l’exaltation, le désir et la convoitise pour le modèle français. La France est y désignée comme éducatrice, bénévole et comme la nation la plus grande et la plus civilisée.

Se sont aussi des écrits qualifiés de mimétisme parce qu’on renvoie au lecteur français une image rassurante, celle qu’il désire, en s’exprimant avec les clichés et les images convenues, imitant ainsi Maupassant, Zola etc.

La France est vue comme un salut qui a apporté le progrès matériel, l’instruction et qui a libéré les maghrébins de l’esclavage. Par conséquent, romancier et poète de cette période s’adressent en français à la France, non pas pour dire les vérités amères mais pour leur faire plaisir. Leurs écritures aspirent vers une Algérie française.  Ces œuvres sont moralistes, elles sont gorgées de poncifs[6].

Que dénoncent-ils ? Certains auteurs vont dénoncer les méfaits de la colonisation sur les mœurs (alcoolisme, drogue, prostitution), mais ils n’oublient pas dans leurs écrits de chanter la mère patrie française.

Que peuvent nous apporter ces œuvres ?

Renseignements sur une période, la vie des colons, la couleur locale ( les chameaux, le burnous, etc)

           Cette Période littéraire est caractérisée par la domination de l’imitation et des influences subies ou acceptées qui durent toujours. Une littérature qui laisse voir l’identification au modèle français affirmant à travers l’idéologie de leurs œuvres : « Nous sommes comme les français. Nous voulons être français. » avec des auteurs qui affichaient dans leurs écrits des idées, des valeurs et la manière d’être du colonisateur, sauf exception (à titre d’exemple : Malek Bennabi 1947, Aly El Hammamy Idriss[7] 1948 et quelques auteurs tunisiens juifs)



[1] Abd ElKader Hadj Hamou sera vice-président de l’Association des Ecrivains Algériens créée en 1924 les fondateurs du courant algérianiste

[2] Charles Bonn, Naget Khedda et Madahri Alaoui, Ouvrage collectif, Littérature maghrébine d’expression française, Coordination Internationale des Chercheurs sur la Littérature maghrébine, Paris, EDICEF, 1996, p. 6

[3] Lanasri Ahmed, Conditions socio-historiques et émergence de la littérature algérienne, Alger, OPU, 1986, p.25

[4] Lanasri Ahmed op.cit., p. 18

[5] Le roman vante l’action de la France pour libérer le Maghreb de la barbarie

[6] Poncifs : c’est un récit ou un thème ou une expression littéraire ou artistique dépourvue d’originalité, banalité, fade. Gorgées de stéréotypes, en général c’est de la mauvaise littérature, et tous ces auteurs s’adressent à un public français.

[7] Roman qui reflète une étude critique du système colonial et se penchant beaucoup plus vers une analyse de la société maghrébine. Le roman est riche en détails sur la Décadence et la Renaissance des pays arabes musulmans et où l’auteur aspire à l’unité du destin des pays maghrébins et à leur lutte de libération nationale


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