I/ Littérature de combat. Refus des injustices : 1955- 1962

 

 

Après la tendance d’une littérature maghrébine d’expression française ancrée dans le ressourcement culturel, cette dernière va déboucher sur l’apparition d’une littérature engagée, accompagnant le combat pour l’indépendance. Dès lors, un courant nationaliste et révolté a irrigué l’inspiration littéraire des pays du Maghreb, tant dans le genre de l’essai que dans le roman, le drame ou la poésie.

 

*Contexte politique

Tunisie : Proclamation de l’indépendance 20 mars 1956

Maroc : Proclamation de l’indépendance 02  mars 1956

Algérie : Congrès de la Soumam 20 août 1956 – Apparition de l’OAS – Proclamation de l’indépendance 1962

 

*Contexte littéraire

Au Maroc comme en Tunisie, Albert Memmi et Driss Chraibi continuaient leurs parcours littéraire. Albert Memmi se consacre surtout à des essais divers de l’homme dominé. Il élabore des études concernant le colonisé, le prolétaire, la femme, le domestique. Il consacre aussi des études sur le noir.

Driss Chraibi, quant à lui, continue à publier (La foule 1961- Succession ouverte 1962 – Un Ami viendra vous voir 1967). Ces romans écrits après l’indépendance traitent généralement les problèmes de la société de consommation et dont les intrigues sont ancrées dans le monde occidental.

 

L’instruction des Maghrébins va très vite se retourner contre la colonisation. En effet, devant l’écart existant entre le discours scolaire et la réalité de la colonisation, les Maghrébins n’auront d’autres choix que de remettre en doute la sincérité de la France. Ecrites en lettres d’or sur le blason de la République, la liberté, la fraternité et l’égalité sont tous les jours bafouées par les agents de cette même république. Soulignons à ce propos que cette mise en avant des mensonges de l’école française a déjà été illustrée par Ali El Hammamy, en 1948, dans son roman Idris.

 

II/ Une littérature comme lieu d’une prise de conscience des mensonges de la colonisation.

 

Contrairement au Maroc et à la Tunisie, l’Algérie entre dans une ère de combat. Les auteurs de cette période vont aller au bout de leurs engagements. Mohamed Dib, Mouloud Feraoun et Mouloud Mammeri de la génération précédente, ainsi que de nouveaux auteurs se manifestent durant cette époque pour écrire l’Algérie terre – mère et Patrie et adhérer à la résistance algérienne.

Malek Hadad – Assia Djebar – Henri Kréa – Jean Sénac…  Plusieurs témoignages sur le combat caractérisent cette littérature qui s’inscrit au cœur du combat et qui s’insère dans le courant de la revendication nationale.

 

Avec L’incendie de Mohamed Dib et bien qu’il soit publié en 1954, la littérature algérienne commence à afficher un discours dénonciateur de l’occupation coloniale ; une littérature qui devient militante en s’inscrivant progressivement dans la tendance de la littérature de combat.

Ce militantisme est visible dans L’incendie à travers un récit parabolique ayant pour thème la loi coloniale qualifié par l’auteur d’ « un monstre vorace ». une loi implacable et irréversible qui s’active à l’expropriation des paysans algériens et établit le texte  dans la bipolarité : colonisateur vs colonisé. Les passages discursifs représentatifs de cette dichotomie sont surtout repérables dans le discours de Commandar.

 

« L’incendie, si prophétiquement, et qui paraît quelques mois à peine avant le déclenchement de la lutte pour la libération nationale en Algérie, le 1er novembre 1954. Le cadre où l’auteur situe l’action se révèle, à l’analyse, chargé de connotation éminemment métaphorique »[1]

 

Avec ce roman prémonitoire, « Dib paiera par des ennuis avec les autorités coloniales et, en 1959, par l’exil en France, le réalisme clairement militant propres à ses œuvres qu’il lui arrive de conjuguer, cependant, avec la veine poétique et métaphorique. Deux grands thèmes parcourent également L’incendie : la faim et la lutte pour la survie, d’une part, points communs aux citadins de la Grande Maison et aux paysans de L’incendie »[2]

 

Dans le texte de Mammeri, Le Sommeil du Juste (1955), c’est l’instruction même des indigènes qui va se retourner contre la colonisation. Les Maghrébins ont découvert, grâce à l’école, la culture occidentale et ont apprécié les grands textes. Mais, devant la grandeur des mots, des idées ; ils se heurtent à  la brusquerie de la réalité. La désillusion sera grande (elle sera à la mesure des rêves faits).

Cette désillusion prend racines dans les méfaits de la colonisation mais surtout dans la seconde guerre mondiale. La défaite et l’occupation de la France vont mettre en évidence la vulnérabilité de ce colosse aux pieds d’argile.

 

Revenu de guerre, l’être isolé doit apprendre à réintégrer son groupe social d’origine après son rejet de l’Autre. Mais, peut-on vraiment revenir sur les traces d’une communauté qu’on avait méprisée ?  L’intellectuel est donc condamné à vivre avec un double Autre et un double rejet.

La désillusion naît de l’affrontement entre l’humanisme idéaliste et l’expérience vécue. L’illusion devient si insupportable qu’elle détruit entièrement celui qui y a cru. Il faut conjurer la culture de l’Autre en la « brûlant ». Il faut une rupture définitive avec les valeurs acquises par l’éducation familiale ou scolaire.

L’intellectuel se doit de s’engager dans une voie nouvelle LA REVOLTE (qui s’oppose à nostalgie d’un monde perdu) : ILLUSION → DESILLUSION → REVOLTE

Ce déchirement ne peut déboucher que sur des crises graves et sur la violence légitimée (sur soi et envers l’Autre). La violence avait déjà été justifiée par la barbarie de la répression du 8 mai 45 dans Nedjma. Cette violence annonce un conflit plus grave et plus extrémiste : le nationalisme

 

Le roman de Kateb Yacine Nedjma (1956) s’impose durant cette période. Nedjma est une œuvre qui se déroule sur trois plans souvent distincts, mais qui s’enchevêtrent également :

-          Plan lyrique : présence d’un Je synonyme d’une conscience individuelle. Nedjma est conçu comme un roman d’amour à travers les discours et monologues des quatre héros autour du personnage Nedjma.

-          Plan historique : relevant de la dimension politique et sociale

-          Plan mythique : ou idéologique – mythe d’origine, thème du passé et des Ancêtres

Soulignons que pour la plus part des critiques, Nedjma figure féminine est symbole de l’Algérie.

 

« Nedjma (1956) de Kateb est un tournant de l’écriture par rapport aux romans précédents. L’auteur poursuit son rêve depuis le 8 mai 1945 : retrouver l’Algérie profonde ensevelie, les ancêtres, le paradis perdu »[3]

 

*Sur le plan esthétique, cette œuvre remet en cause l’écriture traditionnelle par un bouleversement du genre et de la chronologie. Le roman montrent des héros en rupture et rejoignant la lutte : quittant l’étrangère et retrouvant la voie de l’appel natal. Ce roman ne suit pas la succession chronologique des événements. Des bribes réalistes y sont intercalées en revisitant le passé et les mythes.

 

Les romans de Malek Hadad : La dernière impression (1958) – Je t’offrirai une gazelle (1959) – L’élève et la leçon (1960) et Le quai aux fleurs ne répond plus (1961)

Les récits de fiction de Malek Hadad ont pour cadre temporel le contexte de la guerre d’Algérie. Œuvres engagées montrant la rupture du héros qui quitte la blonde étrangère et rejoint le combat s’inscrivent dans le sillon libérateur. Malek Hadad met en scène « des personnages qui sont au pied du mur, nourrissant une passion pour la blonde étrangère mais rompant les amarres. »[4]



[1] Mohamed Ridha Bouguerra & Sabiha Bouguerra, Histoire de la littérature du Maghreb. Littérature Francophone, Ellipses, Paris, p.38

[2] Ibid, p.39

[3] Jean Déjeux, La littérature maghrébine d’expression française, PUF, Paris, p.21

[4] Ibid, p.21


آخر تعديل: Friday، 24 March 2023، 1:43 PM