Introduction

 1/ Question de définitions

La littérature est conçu comme une expression de l’esprit humain, une expression ayant pour quête de toujours chercher à dire le monde et les hommes, l’être individuel et collectif où qu’il soit, qu’importe que soit sa langue. Cependant, ajouter les adjectifs maghrébine et francophone inscrit cette littérature dans une démarche réductrice.

 

La littérature maghrébine a suscité des avis divers à propos de sa définition et de ce fait, elle figure souvent sous des appellations récurrentes, à savoir : littérature maghrébine d’expression française – littérature francophone du Maghreb – littérature maghrébine de graphie française qui multiplient l’ambigüité et accentuent les difficultés que pose la définition de cet objet, parce qu’elle désigne un instrument : la langue française qui n’est pas sienne et un lieu d’origine : le Maghreb difficile de saisir d’un seul point de vue à cause de sa diversité. A ce propos de comment nommer cette littérature ?, Jean Déjeux expose des avis divers.

 

« Jean Sénac en Algérie parlait "d’écriture française" puis de "graphie française", mais "d’expression algérienne". Un marocain, K. Basfao parle de littérature "de langue véhiculaire française" ; un algérien, A. Lanasri, de "littérature algérienne d’expression arabe mais de langue française". On ne veut pas d’allégeance ou d’effusion vers la France, la francité ou la Francophonie et on affirme le souci d’exprimer les spécificités du Maghreb ».[1]

 

De même, Jacques Noiray cerne cette objet protéiforme en affirmant fermement qu’

«il n’y aura donc pas d’autres littératures maghrébines de langue française que celle, qui écrite directement en français, développe des thèmes spécifiquement maghrébins. Qu’elle le fasse parfois dans l’exil n’enlève rien à sa légitimité ni à son authenticité. Il suffit qu’elle conserve le même point de vue, qu’elle nous parle toujours de l’intérieur, des grandes interrogations, des grandes obsessions, des grandes lignes de force qui constituent le fondement problématique de la personnalité collective maghrébine »[2]

 

Des propos cités ci-dessus, on en déduit qu’en dépit des deux épithètes réductrices attribués à cette littérature, cette dernière se libère de tout enfermement et fusionne deux vastes univers : le Maghreb et la langue française. Deux entités qui, certes, se rencontrent, se confrontent, mais qui également s’enrichissent.

 

De ce fait, au sein de cette profusion littéraire, le français comme langue d’écriture n’est pas seulement un instrument, il est et par excellence un contenu identitaire, un vécu social, une appropriation, « une histoire d’amour » (expression chère à Abd El Kader Khatibi).

 

De même, son lieu d’origine est également pluriel parce que fait d’apports multiples et ouverts. La diversité culturelle, sociale et linguistique du Maghreb est une donnée constante et importante, qui doit être perçue comme une richesse. Le Maghreb a été, depuis l’époque phénicienne, un lieu de rencontre de civilisations multiples et variées, différents peuples y sont passés laissant chacun son idiome et sa culture. Ce sont ces multiples et différents apports qui constituent l’essence  d’une littérature et d’une originalité propre au  Maghreb.

 

Un regard porté sur l’état de la littérature maghrébine de langue française aujourd’hui, montre que la réduction de son objet à une question de support linguistique est loin d’être vrai. Bien au contraire, on assiste de plus en plus à des créations nouvelles qui enrichissent cette littérature et lui assure sa longévité. Une longévité qui a nargué toutes les prophéties affirmant sa disparition imminente dans un Maghreb souverain.

 

De par ce  questionnement autour de la définition de la littérature maghrébine de langue française géographiquement limitée suscite lui aussi la contrainte d’une appartenance à un espace géographique commun caractérisé par des points communs tout en ayant des différences. Autrement dit, sachant que  l’identité maghrébine est conçue comme étant fondée sur trois éléments qui sont : la Nation l’Islam l’Arabité. Ces trois fondamentaux posent, dès que l’on tente de les appliquer à la réalité, quelques problèmes.

 

Le concept de Nation comme étant  un « groupe humain vivant sur un même territoire, lié par la conscience d’une histoire, d’une culture, de traditions et parfois d’une langue communes et formant une entité politique. » est difficilement applicable au pays du Maghreb. Les trois pays du Maghreb partagent la même histoire et la même identité culturelle. Seule la réalité politique, établie par le colonisateur français, sépare ces Etats. Cette immaturité  nationale explique les guerres territoriales qui ont suivi les indépendances.

L’identité religieuse est la plus erronée. En effet, certains auteurs maghrébins sont de confession juive (Memmi, el Maleh) ou encore de confession chrétienne (Les Amrouche et Malek Ouary). Doit-on pour autant les exclure du cercle de notre étude ?

L’attachement à la langue arabe est lui aussi problématique, car outre le cas des auteurs berbérophones, l’arabité identitaire et culturelle du Maghreb ne doit pas être confondue avec la politique d’arabisation qu’ont connu les pays maghrébins.

Nous préciserons donc de prime abord de nommer écrivain maghrébin les auteurs qui sont attachés à une terre ancestrale et à une communauté humaine vivante forgée par l’histoire, et qui ont le sentiment d’appartenir à cette terre (et qui l’assument).

Contrairement aux prévisions de certains critiques - tels que J. Déjeux, A. Memmi-  la littérature maghrébine de graphie française n’a pas disparu avec les indépendances des pays du Maghreb. Elle demeure jusqu’à aujourd’hui, et avec elle l’ambiguïté de son statut.

Ce concept n’est, effectivement, pas affranchi d’ambiguïtés. Il présente la langue française comme moyen d’expression sans se demander le pourquoi de cet usage et sans donner une véritable réponse aux questionnements qu’une telle expression suscite.

Concernant le choix linguistique des auteurs qui nous intéressent, il a toujours été un élément de questionnement. Salué comme symbole de la réussite de l’œuvre scolaire coloniale, il fut décrié par les nationalistes comme étant corollaire de l’acculturation.

Cette vision laudative ou péjorative vient de la méconnaissance des conditions d’apprentissage durant la colonisation. En vérité, la langue française ne fut à aucun moment choisie comme moyen d’expression par les écrivains. Son usage leur fut imposé par le système coloniale qui avait détruit totalement ou partiellement les institutions scolaires indigènes.  De ce fait, la langue française c’est imposé comme étant le SEUL moyen d’expression pour se dire. Il fallait écrire en français ou se taire ! Cette littérature s’appuie sur deux histoires, deux cultures, deux publics et n’a jamais su se libérer de la colonisation et de l’acculturation qui fut la véritable raison de sa naissance.

2/ La littérature maghrébine d’expression française ou francophone est fille de la colonisation[3]

L’émergence de cette littérature est intimement liée à la colonisation française qui a donné lieu à une résonance commune répandant sa voix/voie face à la présence étrangère.

Dès sa naissance, la littérature maghrébine de langue française a regroupé une production d’auteurs maghrébins appartenant à des sociétés arabo-berbères, également chrétiens et juifs dans quelques cas. Malgré les particularités qui la caractérisent, « les écrivains maghrébins étaient très proches dans leurs thèmes, dans certaines formes narratives et dans leurs préoccupations »[4].

 

Née entre les deux guerres , elle se précise et se détermine plus autour des années 50. La percée des œuvres fut précoce en Algérie qu’au Maroc ou en Tunisie, car la politique d’assimilation y a été plus systématique et plus longue et que le système de colonisation a été celui d’une colonie de peuplement. La langue d’expression des écrivains n’est donc, ni leur langue maternelle, ni la langue d’écrit d’avant la conquête : l’arabe classique, mais la langue du colonisateur apprise à l’école. Le français est devenu une « culture de nécessité ».[5]

 

La littérature maghrébine de langue française est à suivre depuis l’école exotique ou littérature de voyage ayant une vision idyllique d’un pays perdu en plein désert (entre 1830 et 1900) avec les plus représentatifs : Gustave Flaubert – Alphonse Daudet – Guy de Maupassant, en passant par les algérianistes  (entre1900 et 1935), un courant très enraciné à sa manière dont Louis Bertrand et Robert Randau en pères fondateurs prônaient l’autonomie esthétique, l’école d’Alger de 1935 à 1950 puis l’école nationale de 1950 à 1962 et enfin celle de la génération postindépendance, la littérature maghrébine d’expression française s’est forgée une présence et une légitimité sans précédent par le truchement d’auteurs autochtones ou pieds-noirs qui ont permis à cette littérature de s’imposer et par sa qualité et par sa continuité.



[1] Jean Déjeux, La littérature Maghrébine d’expression française, PUF, 1992, p.5

[2] Jacques Noiray, Littérature Francophone 1. Le Maghreb, Paris Belin, 1996, p.11

[3] Nous empruntons cette expression à Mohamed Ridha Bouguerra & Saliha Bouguerra, Histoire de la littérature de Maghreb. Littérature francophone, Paris, Ellipses, 2010, p.3

[4] Rachid Mimouni, Cité par Jean Déjeux, op. cit, p.9

[5] Mostefa Lacheraf, Algérie, nation et société, 1965


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