I-
La lecture :
Définitions :
Contrairement aux définitions
traditionnelles ou celles qu’on trouve souvent dans les dictionnaires de
langue, la lecture se définit, actuellement, en relation avec la construction
du sens. Donc, lire c’est comprendre un écrit.
« lire, c’est traiter avec les yeux un langage fait pour les yeux.
Lire, c’est donner directement du sens à l’écrit, c'est-à-dire sans passer
par l’intermédiaire ni de déchiffrement ni de l’oralisation.
Lire, c’est questionner l’écrit à partir d’une attente réelle dans une
vraie situation de vie.
Lire, c’est lire de vrais
écrits (des noms de rues, un livre, une affiche, un journal) au moment où on a
vraiment besoin » (Man-De
Vriendt, 2000, p. 240)
Dans
une définition assez récente, Marie Gaussel l’a défini comme :
La capacité à établir des relations entre les séquences
de signes graphiques d’un texte et les signes linguistiques propres à une
langue naturelle (phonèmes, mots, marques grammaticales), mais c’est aussi la
prise de connaissance du contenu d’un texte écrit (Gaussel,
2015, p. 2).
Les situations de la vie
quotidienne des personnes confirment ces deux définitions. En effet, si on veut
acheter quoi que ce soit, on doit lire les enseignes des magasins (acheter du
pain, des vêtements, des fruits…). Si on est en route, on lit les panneaux pour
s’informer. La lecture est dans tous les cas loin des conceptions
traditionnelles qui classent de meilleurs lecteurs les personnes qui parcourent
vite ou articulent bien un texte.
V.1-
Les stades d’acquisition de l’écrit :
En tant qu’acteur social, chaque
enfant vit des situations spontanées dans son environnement qui lui permettent
d’avoir un contact avec de différents écrits. Il acquiert plusieurs mots dans
leur globalité et qui vont lui servir de base dans son apprentissage plus tard. « Lorsque l’enfant va
apprendre à lire, il va au départ utiliser les connaissances qui sont à sa
disposition, puis diversifier progressivement ces modes de reconnaissance du
mot » ( (Jamet, 1997, p. 57). Pour décrire ces étapes suivies par un enfant pour acquérir la lecture, Uta
Frith (1985) a proposé trois principaux stades :
-
Stade logographique (de 3 à 6 ans) : dans ce stade, l’enfant s’appuie sur des
indices perceptifs pour reconnaître les mots et les prononcer.
-
Stade
alphabétique (de 6 à 7 ans) :
dans ce stade l’enfant s’attache à repérer les correspondances phonie/graphie.
-
Stade
Orthographique (à partir de 7 ans) :
à ce stade l’enfant devient capable à constituer un lexique
orthographique qui lui permet de reconnaître les mots. C'est-à-dire, il va
recourir au codage orthographique pour pouvoir identifier les mots.
V.2-
Les méthodes d’enseignement-apprentissage de la lecture :
La spécificité de l’écrit comme
une forme non naturelle du langage humain nécessite un enseignement formel et
explicite qui doit suivre des étapes pour doter les apprenants d’outils
nécessaires. Pour ce faire, il existe trois principales méthodes :
V.2.1 -La méthode
synthétique
Cette méthode est appelée également méthode
syllabique et parfois phonétique. On parle aussi de méthode
phonique, de méthode phonographique, de méthode syllabique (Chauvau, 2013). Elle remonte à
l’antiquité (Grèce antique). Elle consiste à aller des éléments plus simples
(lettres et sons) vers d’autres plus complexes (mots syllabes). Une fois ces
éléments de base sont maîtrisés, l’apprenant passe à la lecture des phrases
puis à la lecture des textes.
L’apprentissage avec
cette méthode passe par quatre stades (Mialaret, 1966),
A-
L’acquisition des lettres
B-
Le stade de la syllabe
C-
La lecture des mots
D-
La lecture des phrases
Inconvénients :
-
Apprentissage des signes sans les
comprendre.
-
Perte du goût de la lecture.
-
Enseignement collectif qui obligeant tous les élèves à avancer en même
temps selon un rythme monotone.
V.2.2- La méthode
analytique (globale)
Cette méthode est appelée
aussi méthode globale. C’est au début du XXème siècle que le
monde a connu son émergence.
Contrairement à la méthode synthétique, dans le cadre d’une méthode analytique,
l’apprenant part du complexe au simple ; c'est-à-dire, la lecture se fait
par la reconnaissance d’un mot tout entier et non par le code de l’écrit. On y
commence par le sens, l’identification du mot dans sa globalité et la lettre ne
vient qu’à la fin (Mialaret, 1966, p. 15) .
Au début, cette méthode est
utilisée pour l’apprentissage des langues basées sur des idéogrammes, comme le
Chinois. Mais, au début des années 1980, elle est adaptée par Jean Foucambert
et Evelyne Charmeux pour l’apprentissage du Français. Elle consiste à utiliser
d’une façon directe des mots entiers, simples et familiers, voire des phrases
entières. L’apprentissage y passe aussi par des stades (Mialaret, 1966) :
A - Stade de la préparation
des acquisitions globales
B - Stade des acquisitions
globales proprement dites
C - Première exploitation des
acquisitions globales
D - Stade de l’analyse et du
déchiffrage
Comme la méthode
précédente, la méthode analytique a aussi des inconvénients parmi lesquels, elle ne permet pas aux
apprenants d’évoluer en même temps pour des raisons psychologiques et
cognitives.
V.2.3 - La
méthode mixte
Elle est appelée aussi la
méthode semi globale. C’est une méthode qui combine les avantages des deux
méthodes précédentes (la méthode analytique, la méthode synthétique). Elle va
de la lecture de la phrase ou du mot acquis dans une séance de langage (mots et
phrases appris par cœur) à l’analyse des éléments à étudier (extractions des
sons et des lettres) , et puis arrivant à faire un montage de syllabes à partir
des lettres qui sont déjà connues.
L’avantage de cette méthode est ce qu’elle donne à l’apprenant les
outils nécessaires pour aborder un texte, agir d’une manière globale face aux
mots connus et de manière synthétique avec les mots nouvellement
rencontrés. L’inconvénient est que
cette méthode mixte est considérée comme une méthode analytique parce qu’elle
va du texte à la lettre et qu’elle aborde la lecture par les phonèmes auxquels
elle fait correspondre les différents graphèmes.
Des chercheurs tels Mialaret (1966), Coranire (1999) estiment que cette
méthode crée des problèmes psycholinguistiques tels que la dyslexie et la
dysorthographie, chez les apprenants. D’autres estiment que c’est une méthode
qui réclame constamment la participation de l’apprenant et marque sa présence
effective à la leçon. C’est aussi une méthode vivante et active fondée sur
l’observation et l’action.
V.3- Les modèles de lecture
Situation de départ :
Lisez les énoncés suivants :
1- Pédagogie s’appuyant sur les connaissances
scientifiques acquises en psychologie de l’enfant
Quelle information avez-vous acquise ?
2- Psychopédagogie
La notion est définie comme pédagogie s’appuyant sur les
connaissances scientifiques acquises en psychologie de l’enfant (Larousse, 2017)
Quelle information avez-vous acquise ?
Dans le premier cas, il n’y a aucun indice paratextuel,
vous avez lu en associant des lettres à des sons, la compréhension dans ce cas
est très difficile et suit un processus très long.
Dans le deuxième cas, il y a le titre et la source qui
permettent d’émettre des hypothèses, puis les confirmer en balayant l’énoncé.
Pour résumer, on peut dire que dans les deux situations
la lecture est fait avec deux modèles différents. Dans la première situation,
il s’agit du modèle du bas vers le haut et dans la deuxième situation, il
s’agit du modèle du haut vers le bas. Dans ce suit, nous allons expliquer ces
notions :
V.3.1 -
les modèles du bas vers le haut
Connus de leur nom en Anglais
« bottom-up ». Ils ont comme principe de base la construction du sens
d’un texte à partir de l’encodage d’unités de base, c'est-à-dire le lecteur
doit passer par la reconnaissance des lettres, des syllabes, des mots, arrivant
enfin à lire une phrase. On comprend de ça que la compréhension vient en
deuxième position.
Joëlle Lucas (2007) a démontré que ces modèles englobent les méthodes
synthétiques (syllabiques).
Leurs principes sont les suivants :
- La
langue écrite est une simple retranscription de l’oral ; L’élément
simple de la langue est la lettre : on part du simple pour aller vers le
complexe : principe du b-a / ba, il faut d’abord apprendre à
déchiffrer : associer les lettres entre elles pour former des syllabes
puis des mots, on peut ensuite lire « couramment ».
- La
compréhension passe par la lecture à voix haute et la répétition pour créer des
automatismes.
- On
ne se soucie pas de présenter de vrais textes aux lecteurs débutants, il faut
que les textes contiennent les graphèmes à étudier. Les lecteurs novices sont
souvent invités à lire des lettres et des syllabes isolées, de même que des
mots et des phrases sans établir aucun lien entre eux.
- On
ne propose pas de but de lecture à l’élève, la lecture n’y est pas une lecture
fonctionnelle. (Lucas,
Joelle, 2007)
V.3.2
- Les modèles du haut vers le bas
En Anglais, on les appelle les modèles
« top down ». Ils se basent sur la construction du sens. Dans un
modèle pareil, le sens du texte commence à se construire au début de la lecture
à partir de formulation d’une hypothèse. Cette hypothèse formulée à partir des
connaissances antérieures du lecteur et des indices visibles du texte va être
omniprésente lors de la lecture par une vérification constante, c'est-à-dire,
il y a d’abord une anticipation de la part du lecteur, suivie d’une
vérification puis d’une confirmation d’une hypothèse après une lecture
silencieuse.
Goodman est l’un des théoriciens les plus
connus en lecture qui a élaboré un modèle du bon lecteur appartenant à cette
catégorie, affirme que « La lecture est un jeu d’essais et
d’erreurs où le lecteur choisit dans les signes graphiques les indices les plus
productifs, anticipe la suite du texte, vérifie ses hypothèses …"(cité
par (Lucas, Joelle, 2007).
Ce type de modèle est souvent critiqué par
de nombreux spécialistes à cause de sa concentration sur les connaissances du
lecteur en négligeant d’autres systèmes mis en œuvre dans l’activité de
compréhension de l’écrit.
V.3.3 - Les modèles interactifs :
interaction entre le lecteur et le texte
Ce
type de modèles de lecture se base sur l’idée que le texte est porteur
d’informations nouvelles et que le lecteur a un bagage de connaissances qu’il
met en service quand il lit. Selon Giasson et Thériault (1983), « les
modèles interactifs décrivent la lecture comme un processus de synthèse de
l’information fournie simultanément à travers différents niveaux d’analyse
(orthographique, syntaxique, sémantique) » (cité par (Lucas,
Joelle, 2007).
Le lecteur adopte donc différentes stratégies de lecture selon la situation. Nous
concluons, donc, que ce type de modèles englobe les deux types précédents.
Le type ascendant « du bas vers le
haut » domine lorsque l’information contextuelle n’est pas suffisante et
le type descendant "du haut vers le bas" domine lorsque le contexte
permet l’anticipation. Cette anticipation n’est possible que si le lecteur a
les connaissances requises pour comprendre le texte présenté. Pour ce faire le
sujet traité ne doit pas être totalement inconnu du lecteur. De plus, ce texte
doit être un texte authentique qui permet l’utilisation du contexte par
opposition à des textes construits à partir de phrases isolées.
Pour comprendre un texte dans le cadre d’un
modèle interactif, le lecteur doit utiliser des connaissances du monde et des
connaissances linguistiques en interaction avec les informations du
texte.
V.4-
Méthode/Modèle
Il
faut noter ici, que les deux notions de méthode d’enseignement-apprentissage de
lecture et de modèle de lecture, sont carrément différentes. La première notion
concerne la manière avec laquelle on commence à apprendre ou faire apprendre la
lecture, cependant la deuxième concerne les lecteurs accomplis, c’est-à-dire
ceux qui ont déjà appris la lecture et abordent des écrits.